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L'avenir de l'esturgeon jaune est incertain dans les rivières de l'Alberta

durée 13h46
5 août 2024
La Presse Canadienne, 2024
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Temps de lecture   :  

4 minutes

Par La Presse Canadienne, 2024

EDMONTON — Un éminent biologiste des pêches craint que l'esturgeon jaune de l'Alberta partage finalement le sort des dinosaures en raison de la pression croissante sur les ressources en eau.

«Plus vous réduisez la zone dans laquelle vit une créature, plus grandes sont les chances que cette créature disparaisse», a déclaré Lorne Fitch, biologiste provincial à la retraite, professeur d'université et auteur. «C'est certainement ce qui pourrait arriver à l'esturgeon jaune.»

L'esturgeon jaune ne ressemble à aucun autre poisson d'eau douce.

Ces poissons sont apparus il y a environ 200 millions d’années, survivant d’une manière ou d’une autre à l’extinction massive des dinosaures et au froid des périodes glaciaires. Ils ont peu changé depuis – et ils ont l’air de leur âge.

«Ce sont des monstres», a dit M. Fitch.

Couverts de plaques osseuses pointues et d'une peau rugueuse à la place d'écailles, ils peuvent atteindre jusqu'à deux mètres de long. De longues «moustaches» sensibles, appelées barbillons, poussent sur les côtés de leur bouche, leur permettant de trouver des écrevisses, des escargots, des palourdes et des sangsues dans les fonds boueux des rivières qu'ils fréquentent.

Ils n’ont pas de colonne vertébrale, étant apparus avant que les poissons ne développent des arêtes. Ils vivent des décennies et sont difficiles à repérer.

Mais quand ils apparaissent, ils ont l’air vraiment intimidants, a indiqué M. Fitch.

«C'est comme sortir un passé lointain d'une piscine. Cela m'a fait me demander: dans quel genre de monde ces poissons ont-ils évolué pour qu'ils aient besoin de ces plaques d'armure ?»

Forte demande d'eau et construction de barrages

Autrefois important, le nombre d'esturgeons a diminué à mesure que la qualité de l'eau des rivières de l'Alberta s'est détériorée et que leurs cours d'eau, autrefois ininterrompus, ont été bloqués par des barrages. M. Fitch a expliqué qu'il n'existe pas d'estimations fiables de la population, mais que l'esturgeon jaune est désigné comme étant en voie de disparition en vertu de la Loi sur les espèces en péril du Canada, et comme menacé en vertu de la législation de l'Alberta.

«Nous ne savons pas vraiment combien il y a d'esturgeons, a dit M. Fitch. Nous ne savons pas quel est l'impact des espèces envahissantes. Nous ne savons pas quel est l'impact de la sécheresse.»

Les politiques actuelles et les éventuelles politiques posent des problèmes, a-t-il ajouté.

La coupe à blanc réduit la capacité des bassins versants à réguler le débit des cours d’eau. Les demandes d'irrigation continuent d'augmenter, tandis que les régulateurs envisagent de nouvelles industries nécessitant beaucoup d'eau, comme l'extraction du charbon.

Pendant ce temps, la population de l'Alberta augmente rapidement. Cela entraîne une demande pour davantage d’eau potable et une meilleure protection contre les inondations, alors que les changements climatiques rendent les phénomènes météorologiques extrêmes plus fréquents.

Les nouveaux barrages, qui isoleraient davantage les populations d’esturgeons, reviennent sur le devant de la scène. La province envisage des projets sur les rivières Red Deer et Bow, ainsi qu'un barrage sur la rivière Saskatchewan Sud.

«Nous n'avons pas fini de penser aux barrages, a soutenu M. Fitch. Si ces barrages étaient construits, ils tronqueraient davantage les populations d'esturgeon jaune en unités de plus en plus petites.»

Des impacts sur l'esturgeon

Une étude de faisabilité réalisée en 2002 pour le barrage Meridian, un projet aujourd'hui abandonné et autrefois proposé pour le côté ouest de la frontière entre la Saskatchewan et l'Alberta sur la rivière Saskatchewan Sud, a reconnu que les barrages et les réservoirs pourraient affecter l'esturgeon. L'étude a révélé que de telles structures pourraient bloquer le mouvement des poissons, réduire la nourriture disponible et limiter les sites de reproduction.

«Les conséquences du blocage des mouvements des poissons dans cette section de la rivière Saskatchewan Sud sont importantes, car des espèces comme l'esturgeon jaune, le doré jaune et le doré noir peuvent être isolées d'un ou de plusieurs habitats essentiels», indique-t-on.

Ryan Fournier, du ministère de l’Environnement et des Aires protégées de l'Alberta, a déclaré que la province s'efforce d'améliorer le stockage et la gestion de l'eau, en particulier dans le sud de la province.

Dans un courriel, il a affirmé qu'environ 10 millions $ d'études de faisabilité étaient en cours pour le projet de barrage Eyremore sur le cours inférieur de la rivière Bow, près de Bassano, et pour le barrage Ardley à l'est de Red Deer, sur la rivière Red Deer. Les deux barrages se trouvent dans l'habitat de l'esturgeon.

«Un examen à l'échelle de la province est également en cours pour déterminer d'autres régions où de nouveaux projets de stockage d'eau seraient les plus bénéfiques, a-t-il dit. Nous adoptons une approche pangouvernementale pour maintenir les systèmes d'infrastructures provinciales de gestion de l'eau afin de garantir aux Albertains un approvisionnement en eau sûr et fiable.»

Le ministre de l'Agriculture et de l'Irrigation, RJ Sigurdson, a déclaré que les préoccupations environnementales seraient prises en compte dans les études.

L'Alberta ferait mieux d'essayer de réduire la demande en eau au lieu de compter sur un approvisionnement accru, d'autant plus que les changements climatiques menacent de rendre les Prairies plus sèches et plus chaudes, a soutenu M. Fitch.

«Si nous continuons à exacerber la demande, nous continuerons à (essayer) de devancer le changement climatique grâce à la construction de réservoirs. Et nous allons perdre.»

L'esturgeon, qui a déjà tant survécu, demeurera si on lui en donne la chance, a déclaré M. Fitch.

«C'est une créature qui dépasse l'histoire humaine, qui dépasse l'histoire de beaucoup d'êtres vivants. Le fait que nous les ayons encore nageant dans nos rivières témoigne de leur capacité à endurer.»

Bob Weber, La Presse Canadienne