Fin des subventions: le monde de l'automobile demande à Ottawa d'être conséquent
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Par La Presse Canadienne, 2024
MONTRÉAL — Si les gouvernements ne sont plus capables de soutenir l’achat de véhicules électriques et la mise sur pied d’infrastructures publiques de recharge adéquates, ils doivent retirer l’obligation faite aux acteurs du secteur de l’automobile d’augmenter l’offre de ces véhicules sous peine de pénalités.
Les trois grandes associations canadiennes de constructeurs automobiles et de concessionnaires se sont présentées à Ottawa, mardi, pour réclamer la fin des mandats obligeant la réduction de l’offre de véhicules à essence jusqu’à leur élimination complète d’ici dix ans, en 2035.
Au lendemain de l’annonce par Ottawa de la suspension du Programme d’incitatifs pour véhicules zéro émission (iVZE) en raison d’un manque de fonds, le président de l’Association canadienne des concessionnaires d’automobiles, Tim Royce, avait ce message pour le ministre fédéral de l’Environnement, Steven Guilbeault: «Cher ministre Guilbeault, c'est votre programme. Si vous ne parvenez pas à obtenir un financement adéquat, éliminez-le.»
Les constructeurs et concessionnaires avaient le même message pour le gouvernement du Québec, qui a amorcé la réduction graduelle de son programme Roulez vert qui prendra fin le 1er janvier 2027, mais qui va aussi suspendre le versement de ses subventions entre le 1er février et le 31 mars parce lui aussi a épuisé l’enveloppe du programme.
«Hypocrisie évidente»
Il y a un an, Ottawa annonçait qu’à compter de 2026, au moins 20 % des véhicules mis en vente devaient être des VZE, un pourcentage devant augmenter à tous les ans pour atteindre 60 % en 2030 et 100 % en 2035. Au Québec, les cibles annoncées préalablement étaient encore plus élevées, se situant à 32,5 % en 2026, 60 % en 2028, 85 % en 2030 et 100 % en 2035.
«Nous voyons les gouvernements, tant au niveau fédéral que provincial, se désengager d'un processus difficile et coûteux qu'ils ont eux-mêmes mis en place. Il y a une hypocrisie évidente à imposer des objectifs ambitieux pour les véhicules zéro émission et des pénalités associées à l'industrie et aux consommateurs alors que les gouvernements montrent un manque clair de motivation et de soutien pour atteindre ces objectifs», a tonné M. Royce.
De son côté, le président de l’Association canadienne des fabricants de véhicules, Brian Kingston, a reproché au gouvernement fédéral d’avoir dicté des mandats de fabrication de VZE avec des cibles «ambitieuses» sans avoir démontré qu’elles étaient réalistes, un reproche reposant sur le fait que l’industrie avait été écartée du processus. «Plutôt que de demander la contribution de l’industrie et d’experts, le gouvernement s’est fié à une analyse mal conçue de groupes environnementalistes se faisant passer pour des experts de l’automobile», a-t-il fulminé.
Piliers essentiels: l'argent et les bornes
Pour les dirigeants de l’industrie, l’augmentation des ventes de VZE repose sur plusieurs facteurs, dont deux piliers essentiels, soit des incitatifs aux consommateurs pour compenser l’écart de prix et le développement d’une infrastructure robuste de recharge publique.
Or, fait valoir M. Kingston, en plus de cette interruption imprévue de l’aide fédérale, l’aménagement de bornes de recharge a ralenti, les données montrant qu’il y a eu 3000 nouvelles bornes de moins en 2024 qu’en 2023.
«Il devrait être évident pour tous maintenant que les cibles de ventes de VZE prévues aux mandats fédéral et provinciaux ne sont plus ambitieuses, mais bien imaginaires. (…) Dicter quels véhicules les Canadiens peuvent ou ne peuvent pas acheter sans leur fournir les appuis nécessaires pour passer à l’électrique est un échec de politique publique typiquement canadien.»
«Soyons clairs: nous ne nous attendons pas à une vague de sympathie envers les manufacturiers ou les concessionnaires automobiles», a déclaré d’entrée de jeu David Adams, président-directeur général de Constructeurs mondiaux d’automobiles du Canada. Mais il n’a pas caché que l’«absence complète de communication de Transport Canada au cours des deux derniers jours ouvrables» quant au programme iVZE a entraîné «le chaos et la confusion» tant dans l’industrie que chez les consommateurs.
Propos «déloyaux»
Parler d’une pause dans le programme est «déloyal», selon lui, puisque le pays se dirige vers une élection et qu’absolument rien ne garantit que le prochain gouvernement maintiendra le programme. Puisque les circonstances ««semblent assurer que les cibles fédérales de VZE ne seront pas atteintes, cela aura des conséquences importantes pour les manufacturiers».
Les porte-parole de l’industrie n’ont pas manqué, en terminant, de rappeler que ce sont les concessionnaires qui avancent l’argent du fédéral aux consommateurs, ce qui lui épargne toute la charge administrative du programme.
Sauf qu’Ottawa a apparemment fermé, mardi matin, le portail web dont se servent les concessionnaires pour déposer les demandes de subvention, de sorte que les acheteurs qui y ont droit et qui ont fait leur achat à temps n’ont plus aucune assurance que leur demande a franchi les étapes nécessaires. Les concessionnaires demandent à Transport Canada de trouver une façon pour garantir aux consommateurs qui ont acheté un véhicule zéro émission à temps qu'ils obtiendront effectivement leur rabais.
Pierre Saint-Arnaud, La Presse Canadienne