Des lois canadiennes visant les géants du web pourraient être dans la mire de Trump
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Par La Presse Canadienne, 2024
OTTAWA — Le gouvernement libéral a passé des années à vanter ses efforts pour faire payer les géants de la technologie. Maintenant, ces projets de loi pourraient être une cible de l'administration Trump – en particulier la taxe sur les services numériques qui oblige les grandes entreprises technologiques à effectuer un paiement rétroactif important en juin.
Les dirigeants des plus grandes entreprises technologiques américaines ont assisté à l'investiture de Donald Trump, lundi. Parmi eux figuraient le fondateur d'Amazon Jeff Bezos, Mark Zuckerberg de Meta, Tim Cook d'Apple et Sundar Pichai de Google, ainsi que le président et directeur général de Tesla et fervent partisan de M. Trump, Elon Musk.
Meredith Lilly, professeure à la Norman Paterson School of International Affairs de l'Université Carleton, a indiqué que le Canada est un marché relativement petit pour les grandes entreprises technologiques américaines.
Mais malgré cela, elles demeurent près de l'administration Trump et elles ont probablement son écoute dans une certaine mesure, selon elle. Mme Lilly s'attend donc à ce que ces entreprises «souhaitent certaines mesures envers le Canada, en particulier sur la taxe sur les services numériques».
La taxe s’applique aux entreprises qui exploitent des marchés en ligne, des services de publicité en ligne et des plateformes de médias sociaux, ainsi qu’à celles qui tirent des revenus de certaines ventes de données d’utilisateurs. Elle impose un prélèvement de 3 % sur les revenus que les géants technologiques étrangers génèrent auprès des utilisateurs canadiens.
Elle est rétroactive à 2022 et couvre des entreprises telles qu’Amazon, Google, Facebook, Uber et Airbnb. Les entreprises sont tenues de déposer une déclaration avant le 30 juin. Le directeur parlementaire du budget a estimé que la taxe rapporterait 7,2 milliards $ sur cinq ans.
Un premier décret
Sous l’ancien président américain Joe Biden, les États-Unis s’opposaient déjà à cette taxe. Le président Donald Trump a signé un décret le premier jour de son retour au pouvoir retirant les États-Unis d’un effort international visant à établir des règles fiscales numériques.
Le décret ordonne au secrétaire au Trésor américain d’enquêter sur les pays dont les règles fiscales sont «extraterritoriales ou affectent de manière disproportionnée les entreprises américaines».
Mme Lilly souligne que la formulation du décret suggère que les États-Unis s'en prendront à tous les pays qui ont mis en place des taxes similaires, y compris la France et le Royaume-Uni. Elle a indiqué que le moyen le plus direct pour les États-Unis de faire part de leurs inquiétudes serait par le biais de l'Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM).
Meredith Lilly précise que le décret ordonne au secrétaire au Trésor de faire rapport au président dans les 60 jours, ce qui serait à la mi-mars.
«Je m'attends à ce que les discussions avec tout pays qui a mis en place une taxe sur les services numériques s'accélèrent rapidement par la suite», a-t-elle soutenu.
Une «cible évidente»
Le professeur de droit de l'Université d'Ottawa Michael Geist, spécialisé dans le commerce électronique, a déclaré que le décret fait de la taxe canadienne sur les services numériques «une cible évidente».
Il a déclaré dans un message en ligne mardi que «compte tenu des efforts des grandes entreprises technologiques pour s'attirer les faveurs de la nouvelle administration américaine, il faut s'attendre à ce que l'élimination de la taxe devienne une demande clé des États-Unis».
Et la taxe sur les services numériques n'est peut-être pas le seul élément de la réglementation canadienne dans la ligne de mire.
«Je pense que la Loi sur la diffusion continue en ligne attirera leur attention, en partie parce qu’il existe des entreprises technologiques très influentes qui sont désormais étroitement liées au président, et aucune d’entre elles n’aime la loi canadienne sur la diffusion continue», a expliqué Mme Lilly.
Le projet de loi avait mis à jour les lois sur la radiodiffusion pour englober les plateformes en ligne. Ces derniers jours, des groupes représentant des entreprises américaines et de grandes entreprises technologiques ont averti le CRTC que ses efforts pour mettre en œuvre cette législation – en particulier l’obligation pour les grandes sociétés de diffusion en continu étrangères de contribuer financièrement à la création de contenu canadien – pourraient aggraver le conflit commercial avec les États-Unis.
«Ce n’est pas le moment pour le Canada d’inviter la nouvelle administration à prendre des mesures de rétorsion sur des questions commerciales», a déclaré la Chambre de commerce des États-Unis au régulateur de la radiodiffusion dans un document déposé dans le cadre d’une procédure du CRTC sur une nouvelle définition du contenu canadien.
La Motion Picture Association—Canada, qui représente de grandes sociétés de diffusion en continu telles que Netflix, Disney et Amazon, a également récemment lancé une campagne publicitaire contre les efforts du CRTC, mettant en garde contre une «nouvelle taxe qui pourrait faire grimper les prix». Mme Lilly a déclaré que les États-Unis pourraient aborder cette question dans le cadre de la révision de l’ACEUM.
M. Geist a déclaré qu’une autre cible pourrait être la Loi sur les nouvelles en ligne, qui oblige les entreprises technologiques à conclure des accords avec les éditeurs de presse. Google, qui est jusqu’à présent la seule entreprise à être concernée par la législation, a versé 100 millions $ à une organisation de journalisme destinée à distribuer les fonds.
Un moyen d'obtenir des concessions
Michael Geist, qui a critiqué les trois projets de loi, a expliqué dans un courriel que les États-Unis pourraient les inclure tous dans les demandes globales qu’ils formulent concernant la menace de M. Trump d’imposer des droits de douane de 25 % au Canada, «dans l’espoir d’obtenir des concessions du gouvernement canadien».
Ils pourraient également utiliser «le règlement des différends dans le cadre de l’ACEUM et le décret exécutif (…) pour faire part de leurs inquiétudes et encourager le Canada à retarder ou à abandonner» la taxe sur les services numériques.
Il a noté que les États-Unis pourraient également utiliser la réouverture des négociations sur l’ACEUM pour mettre les projets de loi sur la diffusion continue et les nouvelles en ligne «sur la table».
Anja Karadeglija, La Presse Canadienne